Bigg, de son vrai nom Hazeb Taoufik, est un jeune casaoui de 23 ans. Licencié en droit privé, il aspire à devenir juge. En attendant, il rappe comme il respire. Mais, il le fait à sa manière : ses chansons sont en darija pur jus. Ses paroles sont parfois composées de mots « osés », « vulgaires » ou « provocateurs ». C'est selon. Ce n'est pas pour rien qu'on le surnomme « El Khasser ». Son premier album « Mgharba hta al moute » (Marocains jusqu'à la mort) cartonne actuellement. Vendu avec la mention « contient des propos explicites », ce CD plaît à énormément de jeunes et dérange un maximum d'adultes. Bigg y évoque, sans mâcher ses mots : Tazmamart, Derb Moulay Chrif, les fils de putes, l'affaire Tabit, les barons de la drogue, Al Adl Wa Alihssane, le PJD... Cette année, à côtés des têtes d'affiche de L'Boulevard (De La Soul et compagnie), c'est Bigg qui est sans conteste l'événement de ce festival. Il promet de faire exploser la scène pendant trente minutes d'un spectacle... very Bigg. À travers cette interview, ce rappeur défend son art et explique sa manière. Il le fait sans fausse modestie ni fausse pudeur.
Contrairement aux conseils qui vous ont été prodigués, vous avez choisi d'utiliser dans votre premier album des mots jugés vulgaires par vos détracteurs. Pourquoi avez-vous opté pour ce choix risqué ?
JE considère que c'est de la pure hypocrisie que certains montent sur leurs quatre chevaux pour dénoncer mes mots soi-disant vulgaires. Je me demande pourquoi ils n'ont jamais rien dit à propos des films français et américains qu'on suit à la télé depuis toujours en écoutant à l'envi des mots comme putain, merde, enculés, fuck, et j'en passe... Je n'ai jamais compris pourquoi le mot pute n'a pas le même effet que « kahba » qui en est simplement la traduction en darija.
Pourquoi donc ce choix que vous dites risqué ?
C'est pour libérer la pensée des jeunes. C'est pour bannir de notre langage le mot : « Hchouma » (tabou). Je précise que je ne chante pas pour les hypocrites. Mieux, je les emmerde.
Et pour qui chantez-vous donc ?
Mon public premier est formé de jeunes de 12 à 25 ans. Je chante aussi pour tous ceux qui refusent qu'on continue à nous rebattre les oreilles avec des chansons d'amour, du beau temps... J'utilise le langage des jeunes pour leur parler vrai. J'exprime ainsi le fond de ma pensée et la leur. Je crie haut sur scène ce que les Marocains pensent tout bas.
Que dites-vous, à travers vos chansons, à ces jeunes ? Je leur dis surtout, de n'avoir peur de rien ni de personne : « Baraka men al khouf ! ». Je leur demande d'être des citoyens qui remplissent pleinement leurs devoirs et qui osent réclamer leurs droits. De vrais Marocains qui veulent changer le pays. Pas ceux qui veulent le quitter à la première occasion. En chantant, je demande aux jeunes de s'intéresser à ce qui se passe autour d'eux, d'emmerder tous les Pinocchio de la politique, de ne pas occulter notre passé pour mieux construire notre avenir... Je crie aussi leur désaveu de tous ceux qui utilisent leur barbe pour des fins démagogiques et qui nous prennent pour des imbéciles.
Mais, à cause de vos mots jugés trop osés, certains de vos jeunes fans sont obligés de se cacher pour recevoir vos messages.
Ce qui me rassure c'est que celui qui se cache aujourd'hui pour écouter mes chansons, ne poussera pas ses enfants à se cacher pour écouter la même chose demain. J'insiste sur le fait que je suis à 100% pour un respect total au sein de la famille. Mais, cela ne devra pas nous empêcher d'appeler chaque chose par son nom dans notre darija qui permet d'aller droit au but.
Que répondriez-vous à ceux qui pensent que vous prêchez par trop de défaitisme dans vos chansons ?
Le défaitisme à mon sens, c'est d'évoquer la merde sans pour autant militer pour le changement. En ce qui me concerne, je l'évoque pour créer l'onde de choc qui poussera chaque Marocain à ramasser sa propre merde pour que notre pays devienne propre. C'est pour cela que mon RAP est à 100% revendicatif et pas du tout défaitiste.